Le rapport ATD Quart Monde sur les dimensions cachées de la pauvreté se base sur le croisement des savoirs de personnes qui ont connus la pauvreté et l’expérimente encore personnellement, de personnes qui ont pu l’approcher de près à travers leur engagement dans diverses actions sociales, ainsi que de personnes qui l’ont analysée au niveau théorique.
de Marta Pancheva, Observatoire sur la Pauvreté Leo Andringa - OPLA
«L’essentiel est invisible aux yeux» écrivait Saint-Éxupéry. Certaines pauvretés «sont invisibles aux yeux», c’est que nous enseigne le rapport «Les dimensions cachées de la pauvreté» de ATD Quart Monde.en collaboration avec un groupe de chercheurs de l’Université d’Oxford, publié en juin 2019. Ce rapport est le fruit d’un processus qui, sur trois années, a opéré un authentique croisement des savoirs de personnes qui ont connus la pauvreté et l’expérimente encore personnellement, de personnes qui ont pu l’approcher de près à travers leur engagement dans diverses actions sociales, ainsi que de personnes qui l’ont analysée au niveau théorique.
Cette étude est très intéressante et innovante en ce qui concerne la méthodologie, Elle a permis à des personnes en situation de pauvreté, à des acteurs sociaux et à des universitaires de devenir de vrais co-chercheurs, cherchant avec brio à donner un éclairage sur un phénomène particulièrement complexe. Elle apporte une contribution importante aux voies possibles à parcourir pour «éradiquer toute forme de pauvreté» conformément au premier des trois Objectifs de développement durable de l’ONU. Elle nous aide aussi à accueillir certains aspects restés longtemps marginaux ou hors du champ d’observation, aspects sans lesquels notre compréhension et, ensuite, notre action sont vouées à rester partielles et sérieusement compromises.
La recherche a non seulement voulu donner la parole aux personnes en situation de pauvreté (un exercice qui n’a rien de banal) et à les faire dialoguer avec des acteurs sociaux et des universitaires, mais elle a aussi rassemblé des expériences de pauvreté faites dans des contextes qui peuvent sembler très éloignés.De fait l’étude a été menée soit dans des pays en voie de développement comme le Bangladesh, la Bolivia et la Tanzania, soit dans des pays avancées comme la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis, et elle nous fait ainsi découvrir une convergence et un chevauchement étonnants entre les traits distinctifs d’une vie pauvre. En particulier, la recherche a porté sur l’identification de nouvelles dimensions principales qui caractérisent l’expérience de la pauvreté dans tous ces contextes apparemment très différents.
Au début, elle part des trois formes de privation les plus connues (et évidentes) que sont l’impossibilité d’accéder à un travail décent, l'insuffisance et l'insécurité des revenus, ainsi que la rareté des autres ressources (biens et services matériels et sociaux),qui compromet une pleine participation à la vie sociale. Comme l’a souligné un des participants à l’étude, dans une société où ce qu’on est est toujours plus déterminé par ce qu’on a, ne pas avoir grand chose signifie ne pas valoir grand chose.
Mais le rapport ne s’arrête pas à ces aspects plus matériels qui caractérisent un état de pauvreté. Il met en évidence six autres dimensions, que nous pouvons définir comme « nouvelles » dans la mesure où elles sont absentes des indicateurs utilisés jusqu’après présent dans ce champ d’analyse.
Elles concernent d’une part, ce qui, dans le rapport, est défini comme expériences centrales de la pauvreté où l’on trouve, entre autres, une authentique souffrance « du corps, de l’esprit et du coeur » étroitement liée au manque insupportble de contrôle sur sa propre vie. Les personnes en situation de pauvreté dans différentes parties du monde sont, en effet, exposées quotidiennement à un degré élevé de risque qui réduit leur marge d'erreur face à des options souvent répugnantes et à des choix fortement contraints qui aboutissent facilement à différentes formes de dépendance et de soumission. Comme le souligne un des participants à l’étude, «la pauvreté ressemble à une toile enchevêtrée de laquelle on ne peut jamais échapper»
Cependant, pauvreté ne veut pas nécessairement dire résignation. Elle est dans nombreux cas le moteur d’une vraie lutte, d’une résistance face à l’adversité, aux peurs afférentes,, à un avenir tellement incertain. Souvent, continue le rapport, cette position active, créative des personnes qui vivent en condition de pauvreté ( il leur en faut, en effet, de la créativité pour tirer le maximum des très rares ressources dont elles disposent) n’est pas perçue par les autres. Les sociétés continuent à ne pas reconnaître les connaissances, les compétences et la contribution sociale dont sont porteuses les personnes qui vivent en état de pauvreté; les efforts de celles-ci restent en grande partie invisibles.
C’est justement une des trois dimensions relationnelles que le rapport identifie. Celles-ci mettent en évidence combien l’expérience de la pauvreté est fortement conditionnée par la façon dont les différents individus et groupes d’une société se perçoivent et se traitent entre eux. Comme le souligne un des participant à la recherche, être regardé « par l’autre » implique de supposer que le « pauvre » n’a rien de bon à offrir à la vie de la communauté. Une telle vision nourrit diverses formes de maltraitance institutionnelle et sociale ; souvent elle représente l’expression plus ou moins explicite d’une série de préjugés, mélangés parfois avec des croyances culturelles qui aboutissent facilement à la discrimination, aux abus et à la stigmatisation.
Ainsi la pauvreté concerne-t-elle de près l’identité des gens qui la vivent. La façon dont nous sommes vus par les autres influence profondément notre propre vision de nous-même. Souvent, racontent certains participants, il y a un fort sentiment de culpabilité du fait de l’impossibilité qu’on ressent de « donner aux autres ». D’autres fois, les gens qui se trouvent à vivre en condition de pauvreté trouvent dans le partage du peu qu’ils ont un chemin pour sortir de ces tendances.
Tout cela nous révèle combien la pauvreté n’est pas une vicissitude individuelle mais plutôt un phénomène relationnel. Elle est rendue plus grande et insurmontable par un regard culpabilisant et qui juge, mais, en même temps, elle fait naître des formes de solidarité et de soutien inattendus qu’il convient de valoriser.
Enfin, il faut souligner combien les nouvelles dimensions identifiées dans le rapport sont intimement connexes, souvent expérimentées ensemble, interdépendantes. Tandis qu’on cherche à arriver à une compréhension plus profonde et exhaustive d’un phénomène si polyédrique et complexe, il est essentel de ne pas perdre de vue la manière dont ces différents aspects sont étroitement liés entre eux et modèlent chaque expérience de pauvreté dans son unicité, comme est unique et irremplaçable toute vie humaine. Notre capacité à le faire reflète directement notre image de la société et de sa maturité.
Le rapport “Les dimensions cachées de la pauvreté” est disponibile (en français, anglais et espagnol) à l’adresse: https://www.atd-quartmonde.org/sortie-du-rapport-recherche-les-dimensions-cachees-de-la-pauvrete/. Si tu veux approfondir les thématiques, je te recommande vivement de lire attentivement ce rapport qui est écrit dans un langage simple et utilisable,
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Les Dimensions Cachées de la Pauvreté - ATD Quart Monde